Elle le vit dès qu'elle sortit. Il l'attendait, simplement, discutant avec Marline, et d'autres qu'elle ne connaissait pas. Car pour lui tout était simple. Comme tout devrait être. Aurait dû. Trop tard.
Foutue insomnie. Elle n'aurait pas dû lire de la philosophie la veille. Au milieu de la nuit l'idée s'était imposée à elle, doucement, comme une vérité susurrée par la lune, indéniable malgré toute la menace qu'elle portait en elle.
Elle avança vers lui, souriant nerveusement. Son esprit n'était occupé que par le discours qu'elle allait devoir lui tenir, si elle en était capable.
Non, elle le devait. Elle se l'était juré. Osciller entre ses convictions et ses peurs, essayer de se tromper soi-même, affirmer ce dont on doute n'était pas la bonne solution. Ne le serait jamais. Alors maintenant il fallait assumer, malgré la difficulté que cela impliquait.
Elle salua distraitement ceux qui partaient, sans leur accorder de réelle attention. Elle fit quelques pas avec lui, tentant de répondre à ses questions anodines de manière naturelle, et y échouant lamentablement, obnubilée par la vérité qui pulsait dans sa poitrine. 
Elle l'amena vers les bancs, et s'y assit, cherchant à obtenir autant de fermeté dans son langage que dans ses gestes.
Inspira. Expira.
"Il faut que je te parle, sérieusement."
L'adverbe qui gâchait tout. Il n'allait jamais la croire. Et d'ailleurs ne la croyait pas, ça se voyait à son regard amusé quand il faisait celui qui avait peur de recevoir une mauvaise nouvelle, accentuant un côté gauche et mal à l'aise.
Si seulement il s'en doutait.
Elle hésita à insister pour qu'il la prenne au sérieux, qu'il comprenne que ce n'était pas un énième jeu mais la réalité, mais après tout, pourquoi faire ? Les feintes avaient été trop nombreuses, et il comprendrait bien assez vite que la vérité était bel et bien dérangeante.
Elle se lança, dans un monologue qui, si elle l'avait ressassé pendant les heures précédentes sans s'arrêter, n'en était pas pour le moins incontrôlé, hâché et pourtant d'un débit rapide car honteux.
"Voilà. Je tiens à toi, tu le sais, tu me connais, ce n'est pas parce que mes mots sont avortés et mes gestes crispés que je ne t'apprécie pas. Seulement je me suis toujours refusée à t'aimer. Je m'en suis empêchée, me disant que l'amitié était bien plus belle que l'amour, plus vraie, plus durable, plus altruiste. Du coup, je me suis forcée à balayer mes doutes, toutes les petites choses qui me chuchotaient que mes sentiments étaient ambigus. Je croyais pouvoir les sacrifier à notre bonheur. Et d'ailleurs je vais le faire ! De toute manière, que pourrais-je en obtenir de plus. Nous vivons quelque chose de fort, de magique, il ne manque rien et le surplus ne peut-être négatif. Mais j'ai besoin que tu saches. C'est idiot, n'est-ce pas ? Je suis en train de tout cacher, mais je n'ai pas le choix. Tu dois savoir."
Elle le regarda, et si son visage ne paraissait qu'à peine ému, ses yeux lui lançaient un regard de détresse, le priant de l'écouter jusqu'au bout. Comprit-il alors que ce n'était pas un jeu ?
"Je n'attends rien de toi. Je te jure. Aucune complaisance, aucun geste. Au contraire. Cantonne moi dans mon rôle. Mais tu es ma Syngué Sabour, ma pierre de patience ! Enfin j'espère que tu acceptes encore ce titre... Et j'ai épuisé ma patience. Redonne en moi, redirige moi pour que tout s'efface ! Ce n'est sûrement qu'une période, ça va passer, je ne sais même pas pourquoi je t'en parles. Mais bon, je te parle de tout ce qui m'arrive d'important, alors... Je ne sais plus où j'en suis..."
Elle sut alors qu'elle le perdait, et qu'elle se perdait en même temps. Elle n'attendit pas de réponse, se leva et commença à partir, assimilant pertinemment l'idée qu'elle venait de commettre une des plus belles stupidités de sa vie. Pour avoir vécu, à des degrés moindres, des situations similaires, elle savait qu'il était impossible de voir de la même manière un ami une fois qu'il vous avait déclaré vous aimer d'amour. A fortiori son meilleur ami.
Les larmes envahissaient ses yeux alors qu'elle se dirigeait vers le métro. La vie n'est pas un film, elle ne se retourna pas.
Et ne le vis donc pas la suivre en courant. Elle sursauta quand il posa sa main sur son épaule, l'arrêtant dans sa fuite. Elle se retourna, pleine d'espoir, ne suppliant que son absolution et son oubli. Mais elle obtenu bien plus.
Ce dont elle ne put percevoir la réalité que quelques temps après, alors que l'occitane récitait le nom des stations et que ses lèvres laissèrent échapper l'air qu'il y avait insufflé. 
Elle respirait de nouveau.